«Je me souviens de la première séparation avec Solal. Dix jours sans
lui m'avaient parus interminables, à les compter avec des petits
bâtonnets dans la paume de ma main. À son retour, j'avais tout de suite
compris que mon fils avait changé de manière irréversible : il forçait
son rire à être plus rauque et mettait les mains dans les poches de son
jean pour rendre ses épaules carrées. Il avait laissé son enfance / ma
fraîcheur dans le centre qui l'hébergeait avec sa classe, sans me
demander l'autorisation. J'aurais beau engager des recherches, remuer
ciel et terre, secouer matelas et couvertures, soulever les lattes des
parquets et arpenter chaque chemin de terre qu'il avait pris, je ne les
retrouverais jamais. Nos baisers auraient dorénavant une raideur
inconnue, lui qui s'emboîtait parfaitement dans mon cou ne s'y
attarderait plus, me laissant nostalgique / affamée. Solal, bon aîné,
avait enclenché les comptes à rebours. Je bois désormais chaque câlin
comme s'il était le dernier, consignant mentalement la douceur de leur
peau, le goût de leur sueur, le salé de leurs larmes, le pulpeux de leur
joue et la clarté dégringolante de leurs rires. Me préparant dignement à
ce jour, après-demain : dès que le car emportant ma fille sera parti, à
l'ultime agitation de ma main, je serai une vieille mère. » p. 78
Second Tour ou Les Bons Sentiments
Isabelle Monnin
Jean-Claude Lattès
Pas nécessairement demain (ou à ce compte avant-hier). Un jour ou l'autre, oui. Mais aucune femme n'est exclusivement une mère.
RépondreSupprimerQuel beau texte !
RépondreSupprimer