… ou le livre dont j'aurais aimé dire que je l'ai aimé… Beaucoup de critiques parcourues sont élogieuses, et il est vrai qu'il regorge d'anecdotes – plus ou moins savoureuses et plus ou moins vraies –, en plus d'explications qui permettent au profane un peu curieux d'en apprendre sur cet art, mais il a fini par me tomber des mains (moins de cent pages avant la fin, dommage !).
L'ouvrage est très soigné d'un point de vue typographique (ce qui ne coule pas nécessairement de source puisqu'il est question ici de création et d'utilisation de polices de caractères, quand je parle usage des majuscules, italiques, etc.), assez soigneusement mis en pages (peu d'orphelines et pas de veuves) et je n'ai relevé aucune grosse faute d'orthographe, mais il en offre une vision exclusivement anglo-saxonne, même s'il aborde les fontes employées dans différents pays, et je soupçonnerais bien l'auteur d'un brin de francophobie… Last but not least, cherry on top of the cake, j'ai trouvé la traduction assez calamiteuse par endroits, lourde et alambiquée. Est-ce un hasard ? sauf erreur de ma part nulle trace du nom du traducteur dans le livre (mais on peut cependant assez facilement le trouver en furetant sur la Toile), ce qui n'est guère bon signe. Je ne souhaite pas lui jeter la pierre (Pierre), mais je ne serais pas étonnée d'apprendre que les personnes qui ont travaillé sur cet opus ont manqué de temps…
Le récit, qui traite uniquement de la typographie occidentale romaine, ne progresse en outre pas par ordre chronologique – il débute par un éloge sur Steve Jobs et enchaîne avec un chapitre sur Comic Sans et comment cette police est considérée comme nulle par certains et a même fait l'objet d'une campagne de dénigrement – et fait des allées et venues incessantes dans le temps. L'auteur parle en outre de choses somme toutes assez confidentielles comme si tout le monde en était averti, assène certaines de ses opinions comme d'incontournables vérités, de sorte qu'au bout d'un moment j'étais simplement perdue et barbée. Claude Garamont, quant à lui, n'a droit qu'à quelques mentions au fil des pages, alors que sans lui (et certes quelques autres) nous écririons peut-être encore en caractères gothiques et que la police créée par cet humaniste est utilisée de nos jours pour les documents officiels en France, mais aussi dans un autre pays que, malgré le conséquent index en fin de volume, je n'ai pas retrouvé. La police Garamond est à l'origine d'autres fontes, les garaldes, parmi lesquelles on trouve la Caslon, utilisée pour composer la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis.
«Margaret Calvert est tombée dans la carrière par hasard. Etudiante à la Chelsea School of Art, elle n'arrivait pas à se décider entre la peinture et l'illustration, lorsqu'un professeur invité remarqua son zèle. C'était Jock Kinneir, graphiste estimé qui venait d'ouvrir sa propre société. Calvert avait beaucoup aimé certains des devoirs qu'il leur avait proposés, notamment la conception d'une nouvelle brochure publicitaire pour la fête foraine de Battersea. Ce parc d'attractions, qui avait beaucoup perdu de son prestige depuis son ouverture en 1951, proposait entre autres choses le Grand Plongeon et la Roue de la Mort. Il avait un peu changé depuis le Festival of Britain, mais il restait une destination très appréciée (et le resta jusqu'à ce que plusieurs enfants soient morts sur ses manèges). Il invitait surtout au au rêve sur les notions de vitesse et d'espace. C'était un lieu où une jeune artiste pouvait expérimenter sa créativité.
Impressionné par le travail de l'étudiante Calvert, Kinneir lui demanda en 1957 de l'aider sur un vaste projet au thème similaire : la signalisation du nouvel aéroport de Gatwick. L'expérience de Kinneir en la matière se limitait à la conception de pavillons pour le Festival of Britain et de stands d'exposition à Wembley. Il n'avait pas présenté sa candidature, la commande lui avait été passée après une conversation à un arrêt d'autobus avec l'un des architectes de Gatwick, David Allford. Pourtant, il ne devait pas être bien difficile de dessiner un panneau “Départs”.» pp. 142-143
«Même sous sa forme la plus primitive, à écran vert, à mémoire minuscule, à disquettes – disons un Amstrad PCW bas de gamme – l'ordinateur rendait rapidement tout le reste obsolète. Dès que vous saviez utiliser un clavier et appuyer sur la touche Imprimer, quel avenir s'offrait au stylo Platignum ou à la machine à écrire à boule ? Dès que vous aviez une calculatrice, à quoi bon vous embêter avec les tables de multiplication ? Dès que vous aviez le courrier électronique, pourquoi fallait-il un employé des Postes pour coller des bandelettes de papier sur un télégramme ? Et dès que vous aviez le fichier audio, adieu les pochettes imprimées. L'impression manuelle et Letraset étaient condamnés. Et la calligraphie est pratiquement morte, cet art qu'adore le prince Charles, et qu'on voit encore encadré sous verre sur les certificats de qualification des vérificateurs et des chiropracteurs.
Aujourd'hui, presque tout ce dont nous avons besoin en matière de caractères se trouve sous une diode LED ou un écran plasma. La pression du graphiste et de la plume, le plaisir fragile qu'on prend à promener un index sur la première page d'un livre bien imprimé, tout cela appartient au passé. Mais les polices – leur prépondérance et leur ingéniosité – n'ont pas connu un semblable déclin. Au contraire : c'est leur quantité quasiment inestimable qui s'avère problématique.» p. 164
«Spiekermann est de ces gens pour qui ne pas pouvoir identifier un g entraînerait une sérieuse remise en question. “Mais je ne suis plus aussi obsédé qu'avant. C'est peut-être l'âge. Dans ma génération, j'étais le pire de tous. Mais maintenant, avec les jeunes, il y a tellement plus de fous de typo qu'avant.” Il raconte avoir été “infecté” à six ans. Il habitait près d'une imprimerie, en Basse Saxe, et “je voyais tous ces caractères métalliques, toute cette encre grasse, puis quelqu'un plaçait une feuille de papier impeccable par-dessus et ça donnait un beau texte clair qu'on pouvait lire, c'était magique, j'étais accro”. On lui donnait les bouts de papier massicotés, où il dessinait les trains et les camions que son père conduisait pour l'armée britannique. Puis à l'adolescence, “je suis tombé amoureux d'une fille, je lui écrivais et j'imprimais son adresse sur l'enveloppe. Les autres gamins jouaient au Lego, moi j'avais Futura et Gill”.
Sa carrière professionnelle a démarré à dix-sept ans, lorsqu'il partit pour Berlin pour éviter la conscription. Il se mit à travailler chez un imprimeur, chez qui il composait à la main. Il dessina ses premières polices vers 1970, alors qu'il était typographe à Londres, en s'inspirant des polices célèbres dont il collectionnait les caractères en bois et en métal. Il demanda conseil à ses héros, dont Matthew Carter, Adrian Frutiger et Günter Gerhard Lange. “Avec Matthew et Adrian, c'était presque comme une franc-maçonnerie, ils étaient une douzaine et ils étaient contents qu'il y ait des freluquets comme moi parce que la plupart des gens ne s'intéressaient pas à tout ça. De nos jours, c'est presque l'inverse. Tout le monde a envie de créer son lettrage.”» pp. 176-177
«Volkswagen, avec ses idéaux démocratiques, utilise encore Futura pour sa publicité, au point où il serait dangereux de changer, comme de trafiquer les freins.» p. 186
«Archibald Binny avait appris à découper les lettres à Edimbourg, mais son associé James Ronaldson était pâtissier jusqu'au jour où il avait tout perdu dans un incendie. Dans leur partenariat, Ronaldson gérait les aspects commerciaux, tandis que Binny fit plus que quiconque pour établir une identité américaine imprimée.» p. 187
«Comme c'est aujourd'hui la règle, chaque alphabet contient au moins 600 glyphes et prend des mois à mettre au point.» p. 218
Bon, je m'arrête là, vous aurez je crois compris mon propos…
Le récit, qui traite uniquement de la typographie occidentale romaine, ne progresse en outre pas par ordre chronologique – il débute par un éloge sur Steve Jobs et enchaîne avec un chapitre sur Comic Sans et comment cette police est considérée comme nulle par certains et a même fait l'objet d'une campagne de dénigrement – et fait des allées et venues incessantes dans le temps. L'auteur parle en outre de choses somme toutes assez confidentielles comme si tout le monde en était averti, assène certaines de ses opinions comme d'incontournables vérités, de sorte qu'au bout d'un moment j'étais simplement perdue et barbée. Claude Garamont, quant à lui, n'a droit qu'à quelques mentions au fil des pages, alors que sans lui (et certes quelques autres) nous écririons peut-être encore en caractères gothiques et que la police créée par cet humaniste est utilisée de nos jours pour les documents officiels en France, mais aussi dans un autre pays que, malgré le conséquent index en fin de volume, je n'ai pas retrouvé. La police Garamond est à l'origine d'autres fontes, les garaldes, parmi lesquelles on trouve la Caslon, utilisée pour composer la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis.
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«Lars Müller, graphiste norvégien qui a consacré un livre à cette police, qualifie Helvetica de “parfum de la ville”, tandis que Massimo Vignelli, le premier à en avoir recommandé l'emploi dans le métro de New York dans les années 1960 (plus de vingt ans avant que cela ne soit finalement le cas), estime que son caractère protéiforme permet à l'usager de dire “Je vous aime” de toutes sortes de manières, “avec Helvetica Extra Light si vous voulez vous amuser, avec Extra Bold si vous voulez être vraiment intense et passionné” [rendez-vous là pour visualiser les différentes Helvetica dont il est question, Blogger ne permettant pas d'employer ces polices spécifiques pour illustrer le propos]. Et son attrait est mondial. À Bruxelles, on la voit dans tout le réseau de transports en commun. À Londres, le National Theatre l'a adoptée de façon si systématique (affiches, programmes, publicités, panneaux) que cette police rivalise avec celle de Johnston dans le métro comme la plus fortement présente dans la capitale britannique.
Seul Paris semble résister (un peu) aux charmes d'Helvetica. On trouve ce lettrage partout dans les rues, mais la tentative visant à l'introduire dans le métro a été moins couronnée de succès. Il fut mis à l'essai dans l'intervalle entre Alphabet Metro et Parisine, mais avec un méli-mélo de styles combinant plusieurs graisses anciennes et nouvelles, et ce ne fut pas une réussite. Le problème d'Helvetica dans une ville connue pour son rejet de l'uniformité est que cette police n'était tout simplement pas française.» p. 128
«Margaret Calvert est tombée dans la carrière par hasard. Etudiante à la Chelsea School of Art, elle n'arrivait pas à se décider entre la peinture et l'illustration, lorsqu'un professeur invité remarqua son zèle. C'était Jock Kinneir, graphiste estimé qui venait d'ouvrir sa propre société. Calvert avait beaucoup aimé certains des devoirs qu'il leur avait proposés, notamment la conception d'une nouvelle brochure publicitaire pour la fête foraine de Battersea. Ce parc d'attractions, qui avait beaucoup perdu de son prestige depuis son ouverture en 1951, proposait entre autres choses le Grand Plongeon et la Roue de la Mort. Il avait un peu changé depuis le Festival of Britain, mais il restait une destination très appréciée (et le resta jusqu'à ce que plusieurs enfants soient morts sur ses manèges). Il invitait surtout au au rêve sur les notions de vitesse et d'espace. C'était un lieu où une jeune artiste pouvait expérimenter sa créativité.
Impressionné par le travail de l'étudiante Calvert, Kinneir lui demanda en 1957 de l'aider sur un vaste projet au thème similaire : la signalisation du nouvel aéroport de Gatwick. L'expérience de Kinneir en la matière se limitait à la conception de pavillons pour le Festival of Britain et de stands d'exposition à Wembley. Il n'avait pas présenté sa candidature, la commande lui avait été passée après une conversation à un arrêt d'autobus avec l'un des architectes de Gatwick, David Allford. Pourtant, il ne devait pas être bien difficile de dessiner un panneau “Départs”.» pp. 142-143
«Même sous sa forme la plus primitive, à écran vert, à mémoire minuscule, à disquettes – disons un Amstrad PCW bas de gamme – l'ordinateur rendait rapidement tout le reste obsolète. Dès que vous saviez utiliser un clavier et appuyer sur la touche Imprimer, quel avenir s'offrait au stylo Platignum ou à la machine à écrire à boule ? Dès que vous aviez une calculatrice, à quoi bon vous embêter avec les tables de multiplication ? Dès que vous aviez le courrier électronique, pourquoi fallait-il un employé des Postes pour coller des bandelettes de papier sur un télégramme ? Et dès que vous aviez le fichier audio, adieu les pochettes imprimées. L'impression manuelle et Letraset étaient condamnés. Et la calligraphie est pratiquement morte, cet art qu'adore le prince Charles, et qu'on voit encore encadré sous verre sur les certificats de qualification des vérificateurs et des chiropracteurs.
Aujourd'hui, presque tout ce dont nous avons besoin en matière de caractères se trouve sous une diode LED ou un écran plasma. La pression du graphiste et de la plume, le plaisir fragile qu'on prend à promener un index sur la première page d'un livre bien imprimé, tout cela appartient au passé. Mais les polices – leur prépondérance et leur ingéniosité – n'ont pas connu un semblable déclin. Au contraire : c'est leur quantité quasiment inestimable qui s'avère problématique.» p. 164
«Spiekermann est de ces gens pour qui ne pas pouvoir identifier un g entraînerait une sérieuse remise en question. “Mais je ne suis plus aussi obsédé qu'avant. C'est peut-être l'âge. Dans ma génération, j'étais le pire de tous. Mais maintenant, avec les jeunes, il y a tellement plus de fous de typo qu'avant.” Il raconte avoir été “infecté” à six ans. Il habitait près d'une imprimerie, en Basse Saxe, et “je voyais tous ces caractères métalliques, toute cette encre grasse, puis quelqu'un plaçait une feuille de papier impeccable par-dessus et ça donnait un beau texte clair qu'on pouvait lire, c'était magique, j'étais accro”. On lui donnait les bouts de papier massicotés, où il dessinait les trains et les camions que son père conduisait pour l'armée britannique. Puis à l'adolescence, “je suis tombé amoureux d'une fille, je lui écrivais et j'imprimais son adresse sur l'enveloppe. Les autres gamins jouaient au Lego, moi j'avais Futura et Gill”.
Sa carrière professionnelle a démarré à dix-sept ans, lorsqu'il partit pour Berlin pour éviter la conscription. Il se mit à travailler chez un imprimeur, chez qui il composait à la main. Il dessina ses premières polices vers 1970, alors qu'il était typographe à Londres, en s'inspirant des polices célèbres dont il collectionnait les caractères en bois et en métal. Il demanda conseil à ses héros, dont Matthew Carter, Adrian Frutiger et Günter Gerhard Lange. “Avec Matthew et Adrian, c'était presque comme une franc-maçonnerie, ils étaient une douzaine et ils étaient contents qu'il y ait des freluquets comme moi parce que la plupart des gens ne s'intéressaient pas à tout ça. De nos jours, c'est presque l'inverse. Tout le monde a envie de créer son lettrage.”» pp. 176-177
«Volkswagen, avec ses idéaux démocratiques, utilise encore Futura pour sa publicité, au point où il serait dangereux de changer, comme de trafiquer les freins.» p. 186
«Archibald Binny avait appris à découper les lettres à Edimbourg, mais son associé James Ronaldson était pâtissier jusqu'au jour où il avait tout perdu dans un incendie. Dans leur partenariat, Ronaldson gérait les aspects commerciaux, tandis que Binny fit plus que quiconque pour établir une identité américaine imprimée.» p. 187
«Comme c'est aujourd'hui la règle, chaque alphabet contient au moins 600 glyphes et prend des mois à mettre au point.» p. 218
Bon, je m'arrête là, vous aurez je crois compris mon propos…
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L'avis de Jacques Drillon sur BibliObs, celui de Camille Gévaudan sur Ecrans, et là, «L'Essai et la Revue du jour», sur France Culture (7 min).
Sales caractères
Petite histoire de la typographie
Simon Garfield
Seuil
Quelle perception aurions-nous eue de ces films si leurs génériques avaient été incrustés dans d'autres polices ?
cherry on top of the cake
RépondreSupprimerChez nous nous avons une expression québécoise délicieusement locale : mettre la cerise sur le sundae.
Le sens peut être péjoratif, ou non, c'est selon.
Certains ont dit que c'était un anglicisme. Bof, les jaloux ! La vérité crue, c'est que bon nombre d'anglos chez nous ont adopté ce québécisme, rarement vu ailleurs.
RG :-)
Je sais bien que ce n'est pas l'exacte traduction de l'expression, mais j'aime bien les distordre un peu, parfois, tout comme j'aime bien les traductions littérales du style "prends-le facile" ou "casse une jambe" :-))
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