«Tout roulait comme sur des roulettes. Les parents étaient trop occupés à faire des comptes, à se lamenter, à se disputer et à se faire du chantage au suicide pour prêter attention à moi. Je pouvais donc passer l'après-midi à Galaxie [centre commercial situé place d'Italie] avec Johana sans entendre ma mère me dire : “Je ne te comprends pas. Moi, si j'avais du temps libre dans une ville comme Paris, j'irais au musée, dans des expos, écouter des conférences. Vraiment, je ne te comprends pas.” Ce n'était pourtant pas compliqué de comprendre que la peinture c'est beau mais que les musées, ça fait mal au dos, que les expos, c'est pareil et même pire quand par exemple c'est une expo sur des fragments de vases chinois du trentième siècle avant Mao Tsé-tung, parce que là, en plus du mal au dos, c'est moche et ennuyeux. Ce n'était pas non plus compliqué de comprendre que, lorsqu'on va en cours six jours sur sept, on n'a pas envie de passer ses vacances enfermé dans une salle à écouter un vieux croûton, ou pire, un jeune croûton, vous parler du langage des orteils chez les Papous du Sud. Conclusion, soit ma mère avait un cerveau sous-développé, soit elle ne faisait aucun effort, soit elle comprenait tout ça très bien mais continuait de le dire rien que pour m'embêter. Je n'ai pas besoin de vous indiquer laquelle de ces trois hypothèses me semblait la plus juste. Peu importe d'ailleurs, car pendant ces vacances de Noël les rengaines maternelles étaient rangées dans le placard à balais avec les vieux torchons pleins de trous qu'elle gardait parce qu'on ne sait jamais. J'étais libre, en somme, libre de dilapider ma belle jeunesse devant les vitrines, de m'abrutir devant la télé, de ne faire fonctionner mes neurones qu'à un millième de leur capacité. C'est du moins ce que je croyais, jusqu'à ce que Judith [sa petite sœur], dont j'avais une fois de plus oublié l'existence, se rappelle à moi.»
Agnès Desarthe
Je ne t'aime pas, Paulus
«Médium», L'école des loisirs
P.-S. L'éditeur a regroupé Je ne t'aime pas, Paulus avec sa suite, Je ne t'aime toujours pas, Paulus, dans un volume intitulé Paulus.
Je ne connais pas.
RépondreSupprimerMerci pour le partage.
Bon après midi, bises.
C'est une auteure que j'aime beaucoup et qui, comme Marie Desplechin, écrit pour les enfants comme pour les adultes…
RépondreSupprimerBon après-midi à toi aussi !
Tiens, mais c'est une citation très judicieuse, frappée au coin du bon sens !
RépondreSupprimerToute ressemblance avec certaine ado est tout sauf fortuite :-)
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