«Le silence après l'amour est long à passer si la femme n'aime plus l'homme, ou l'homme la femme. Le temps est à peu près aussi long à passer quand on roule avec un enfant qui a le mal des transports. Le silence s'éternise quand on a quatorze ans dans une classe mixte de trente élèves à qui on a dit de se taire pendant trois minutes pour présenter au monde ses condoléances, parce que des choses effroyables se sont passées de l'autre côté de l'océan, la lenteur du temps est alors intolérable.
Quand on est assis en voiture à côté de son amour, vingt-cinq kilomètres sont comme le battement d'ailes d'un papillon posé sur un mur, le bourdonnement d'une mouche : un temps infinitésimal, un rien de temps, pas de temps du tout.» pp. 167-168
«C'est à ce moment précis que m'effleure pour la première fois l'idée que je suis une femme au milieu d'un motif finement tissé d'émotions et de temps, que bien des choses qui se produisent simultanément ont de l'importance pour ma vie, que les événements n'interviennent pas les uns après les autres, mais sur plusieurs plans simultanés de pensées, de rêves et de sentiments, qu'il y a un instant au cœur de l'instant. Bien plus tard seulement, la mémoire fera son tri et discernera un fil dans le chaos de ce qui a eu lieu.» p. 203
«La plupart des erreurs se font en un instant, se mesurent en secondes, mauvais virage, pied sur l'accélérateur au lieu du frein, ou l'inverse. Les erreurs sont rarement le résultat d'un enchaînement de décisions logiques ; par exemple, une femme peut être à un cheveu d'aimer absolument, être même à l'extrême bord, sans y avoir réfléchi une seule minute.
Le désert noir n'est plus devant nous mais derrière, et le chalet d'été à portée de main, juste après un petit fjord et une lande. Et tout à coup, alors que je traverse encore un nuage bas qui descend jusqu'à la lave brûlée, l'idée m'effleure que je me trouve à égale distance du début et de la fin et je ne peux me figurer sur le moment s'il faut mesurer cette distance en années ou en kilomètres. Il y a en tout cas assez de place devant moi et suffisamment de temps, assez de temps passé aussi. En ne suivant pas la marche des aiguilles sur la montre du divorce, mais en faisant le tour de l'île dans le sens inverse des aiguilles d'une montre, j'ai non seulement un temps d'avance, mais je me prends moi-même constamment au dépourvu, je finis même par me rattraper.»
p. 251
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Rosa candida est paru en France en 2010 mais
L'Embellie lui est antérieur, puisque écrit en 2004 (on le trouve encore appelé
Pluie de novembre, traduction littérale de son titre original, dans les biographies de l'auteure). J'avais comme beaucoup été charmée par
Rosa candida. Quand la traduction française de
L'Embellie est parue, l'été dernier, j'ai sagement attendu qu'au moins une de nos bibliothèques voisines l'acquière pour le réserver. Cette lecture me plaisait tant que j'avais commencé ce billet avant même de la terminer. J'ai tout de même attendu de la finir avant de le publier par crainte d'une déception de dernière minute mais cette précaution aura été inutile. L'histoire débute en novembre et finit vers Noël, alors que le soleil éclaire de moins en moins les jours de cette région du globe, durant une période de pluies exceptionnelles, de surcroît, mais tout du long je n'ai pu m'empêcher de l'imaginer au cours de journées ensoleillées, même si la mélancolie n'est pas loin dans certains passages, et j'ai dû me reprendre bien des fois en tentant de visualiser personnages et décors. Il est pas mal question de nourriture dans ce livre, qui se termine par une partie regroupant «quarante-sept recettes de cuisine et une recette de tricot» qu'il ne faut surtout pas se dispenser de lire. Peut-être me l'offrirai-je quand il sera paru en poche, pour à nouveau le savourer…
Le mot de l'éditeur
C'est la belle histoire d'une femme libre et d'un enfant prêté, le temps d'une équipée hivernale autour de l'Islande.
En ce ténébreux mois de novembre, la narratrice voit son mari la quitter sans préavis et sa meilleure amie lui confier son fils de quatre ans. Qu'à cela ne tienne, elle partira pour un tour de son île noire, seule avec Tumi, étrange petit bonhomme, presque sourd, avec de grosses loupes en guise de lunettes.
Avec un humour fantasque et une drôlerie décapante,
L'Embellie ne cesse de nous enchanter par cette relation cocasse, de plus en plus attentive, émouvante, entre la voyageuse et son minuscule passager, ainsi que par sa façon incroyablement libre et allègre de prendre les péripéties de la vie, et de la vie amoureuse, sur fond de blessure originelle. Et l'on se glisse dans
L'Embellie avec le même bonheur immense que dans
Rosa candida, en une sorte d'exultation complice qui ne nous quitte plus.
[Heureusement, le livre est mieux écrit – et traduit – que ça…]