mardi 2 mai 2017

Balades parisiennes

«Ah ! que de beaux couchers de soleil ils eurent, pendant ces flâneries de chaque semaine ! Le soleil les accompagnait dans cette gaieté vibrante des quais, la vie de la Seine, la danse des reflets au fil du courant, l'amusement des boutiques chaudes comme des serres, et les fleurs en pot des grainetiers, et les cages assourdissantes des oiseleurs, tout ce tapage de sons et de couleurs qui fait du bord de l'eau l'éternelle jeunesse des villes. Tandis qu'ils avançaient, la braise ardente du couchant s'empourprait à leur gauche, au-dessus de la ligne sombre des maisons ; et l'astre semblait les attendre, s'inclinait à mesure, roulait lentement vers les toits lointains, dès qu'ils avaient passé le pont Notre-Dame, en face du fleuve élargi. Dans aucune futaie séculaire, sur aucune route de montagne, par les prairies d'aucune plaine, il n'y aura jamais des fins de jour aussi triomphales que derrière la coupole de l'Institut. C'est Paris qui s'endort dans sa gloire. À chacune de leurs promenades, l'incendie changeait, des fournaises nouvelles ajoutaient leurs brasiers à cette couronne de flammes. Un soir qu'une averse venait de les surprendre, le soleil, reparaissant derrière la pluie, alluma la nuée tout entière, et il n'y eut plus sur leurs têtes que cette poussière d'eau embrasée, qui s'irisait de bleu et de rose. Les jours de ciel pur, au contraire, le soleil, pareil à une boule de feu, descendait majestueusement dans un lac de saphir tranquille ; un instant, la coupole noire de l'Institut l'écornait, comme une lune à son déclin ; puis, la boule se violaçait, se noyait au fond du lac devenu sanglant. Dès février, elle agrandit sa courbe, elle tomba droit dans la Seine, qui semblait bouillonner à l'horizon, sous l'approche de ce fer rouge. Mais les grands décors, les grandes féeries de l'espace ne flambaient que les soirs de nuages. Alors, suivant le caprice du vent, c'étaient des mers de soufre battant des rochers de corail, c'étaient des palais et des tours, des architectures entassées, brûlant, s'écroulant, lâchant par leurs brèches des torrents de lave ; ou encore, tout d'un coup, l'astre, disparu déjà, couché derrière un voile de vapeurs, perçait ce rempart d'une telle poussée de lumière, que des traits d'étincelles jaillissaient, partaient d'un bout du ciel à l'autre, visibles, ainsi qu'une volée de flèches d'or. Et le crépuscule se faisait, et ils se quittaient avec ce dernier éblouissement dans les yeux, ils sentaient ce Paris triomphal complice de la joie qu'ils ne pouvaient épuiser, à toujours recommencer ensemble cette promenade, le long des vieux parapets de pierre.» Chap. IV, pp. 122-123

L'Œuvre
Émile Zola

Le Livre de poche

2 commentaires:

Dona Swann a dit…

Très bon choix !
Quel génie descriptif dans ce passage où l'on croit être !

DoMi a dit…

J'avais lu "L'Œuvre" il y a bien longtemps, ç'a été un plaisir de le redécouvrir. Quelle belle écriture, quelle richesse ! J'ai regretté que l'on n'en croise plus de semblable de nos jours…