lundi 29 avril 2013

Clafoutis aux fruits

Aux cerises ou autres fruits rouges aux beaux jours, aux prunes à la fin de l'été, aux pommes à longueur de temps…
- 500 g de fruits
- 2 verres de lait
- 60 g de farine (2 grosses cuillers à soupe)
- 125 g de sucre (7 ou 8 cuillers à soupe)
- 3 œufs
- 1 pincée de sel
- 1 noix de beurre

Enduire le fond d'un moule avec le beurre. Mélanger tous les ingrédients puis les verser dans le moule. Enfourner à 200 °C durant 45 minutes. Déguster…

Aux mûres, l'été dernier.

D'après les Recettes faciles de Françoise Bernard. 

Je n'utilise ni beurre ni sel. Je remplace une partie du sucre (une ou deux cuillerées) et la farine par de la poudre d'amandes.
Ça n'est bien sûr pas une recette révolutionnaire mais elle est plutôt légère et très simple à préparer si on la compare à celles que j'ai pu trouver par ailleurs.

samedi 27 avril 2013

Les regrets

J'avais oublié l'humour parfois absurde de Bertrand Blier et, dernièrement, j'ai emprunté le DVD de son film Les Acteurs à la médiathèque. De fil en aiguille, mais peut-être est-ce ce qui a réellement guidé mon choix, j'ai bien sûr repensé à celle avec qui nous étions allés le voir au moment de sa sortie. J'ai appris bien plus tard qu'on nous disait alors inséparables, mais la vie emprunte parfois d'étranges méandres, et nous nous sommes perdues quelques mois avant la naissance de la Demoiselle, sans raison véritable. Chagrinée, fâchée de cette situation, je n'ai plus entendu parler d'elle pendant une paire d'années, jusqu'à ce jour où une amie commune m'a appelée : championne du monde du Scrabble francophone, elle se rendait à une compétition à Saumur lorsque la voiture dans laquelle elle se trouvait a été percutée par un sale type, qui conduisait ivre et sans permis. Trois des quatre passagers s'en sont sortis, pas elle, partie sur le coup. Elle avait 31 ans, c'était il y a dix ans.
Nous allions régulièrement au cinéma ensemble, elle pouvait s'enquiller plusieurs films par jour et était spécialiste des «séances pour fauchés», comme elle les appelait. Longtemps, en visionnant tel film ou en allant voir tel autre j'ai pensé à elle. Elle m'avait offert le code typo que j'utilise encore, entre autres livres et disques. Elle aimait la couleur bleue, les bulles de champagne et vouait une adoration sans borne aux veaux («On n'adore que Dieu, aurait-elle dit. Donc, si Dieu existe, Dieu est un veau !»), dont elle avait une impressionnante collection que nous alimentions joyeusement : chaussons, tasses, bols, coussins, cartes, tout ce qui portait tâches noires sur pelage blanc et n'arborait pas de pis…
Je suis brouillée avec les dates, et ce n'est qu'en cherchant une trace d'elle sur la Toile que je me suis rendu compte de cet anniversaire.

lundi 22 avril 2013

Sales caractères – Petite histoire de la typographie, Simon Garfield

… ou le livre dont j'aurais aimé dire que je l'ai aimé… Beaucoup de critiques parcourues sont élogieuses, et il est vrai qu'il regorge d'anecdotes – plus ou moins savoureuses et plus ou moins vraies –, en plus d'explications qui permettent au profane un peu curieux d'en apprendre sur cet art, mais il a fini par me tomber des mains (moins de cent pages avant la fin, dommage !). 
L'ouvrage est très soigné d'un point de vue typographique (ce qui ne coule pas nécessairement de source puisqu'il est question ici de création et d'utilisation de polices de caractères, quand je parle usage des majuscules, italiques, etc.),  assez soigneusement mis en pages (peu d'orphelines et pas de veuves) et je n'ai relevé aucune grosse faute d'orthographe, mais il en offre une vision exclusivement anglo-saxonne, même s'il aborde les  fontes employées dans différents pays, et je soupçonnerais bien l'auteur d'un brin de francophobie… Last but not least, cherry on top of the cake, j'ai trouvé la traduction assez calamiteuse par endroits, lourde et alambiquée. Est-ce un hasard ? sauf erreur de ma part nulle trace du nom du traducteur dans le livre (mais on peut cependant assez facilement le trouver en furetant sur la Toile), ce qui n'est guère bon signe. Je ne souhaite pas lui jeter la pierre (Pierre), mais je ne serais pas étonnée d'apprendre que les personnes qui ont travaillé sur cet opus ont manqué de temps…
Le récit, qui traite uniquement de la typographie occidentale romaine, ne progresse en outre pas par ordre chronologique – il débute par un éloge sur Steve Jobs et enchaîne avec un chapitre sur Comic Sans et comment cette police est considérée comme nulle par certains et a même fait l'objet d'une campagne de dénigrement – et fait des allées et venues incessantes dans le temps. L'auteur parle en outre de choses somme toutes assez confidentielles comme si tout le monde en était averti, assène certaines de ses opinions comme d'incontournables vérités, de sorte qu'au bout d'un moment j'étais simplement perdue et barbée. Claude Garamont, quant à lui, n'a droit qu'à quelques mentions au fil des pages, alors que sans lui (et certes quelques autres) nous écririons peut-être encore en caractères gothiques et que la police créée par cet humaniste est utilisée de nos jours pour les documents officiels en France, mais aussi dans un autre pays que, malgré le conséquent index en fin de volume, je n'ai pas retrouvé. La police Garamond est à l'origine d'autres fontes, les garaldes, parmi lesquelles on trouve la Caslon, utilisée pour composer la Déclaration d'indépendance des Etats-Unis.
***
«Lars Müller, graphiste norvégien qui a consacré un livre à cette police, qualifie Helvetica de “parfum de la ville”, tandis que Massimo Vignelli, le premier à en avoir recommandé l'emploi dans le métro de New York dans les années 1960 (plus de vingt ans avant que cela ne soit finalement le cas), estime que son caractère protéiforme permet à l'usager de dire “Je vous aime” de toutes sortes de manières, “avec Helvetica Extra Light si vous voulez vous amuser, avec Extra Bold si vous voulez être vraiment intense et passionné” [rendez-vous pour visualiser les différentes Helvetica dont il est question,  Blogger ne permettant pas d'employer ces polices spécifiques pour illustrer le propos]. Et son attrait est mondial. À Bruxelles, on la voit dans tout le réseau de transports en commun. À Londres, le National Theatre l'a adoptée de façon si systématique (affiches, programmes, publicités, panneaux) que cette police rivalise avec celle de Johnston dans le métro comme la plus fortement présente dans la capitale britannique.
Seul Paris semble résister (un peu) aux charmes d'Helvetica. On trouve ce lettrage partout dans les rues, mais la tentative visant à l'introduire dans le métro a été moins couronnée de succès. Il fut mis à l'essai dans l'intervalle entre Alphabet Metro et Parisine, mais avec un méli-mélo de styles combinant plusieurs graisses anciennes et nouvelles, et ce ne fut pas une réussite. Le problème d'Helvetica dans une ville connue pour son rejet de l'uniformité est que cette police n'était tout simplement pas française.» p. 128

 «Margaret Calvert est tombée dans la carrière par hasard. Etudiante à la Chelsea School of Art, elle n'arrivait pas à se décider entre la peinture et l'illustration, lorsqu'un professeur invité remarqua son zèle. C'était Jock Kinneir, graphiste estimé qui venait d'ouvrir sa propre société. Calvert avait beaucoup aimé certains des devoirs qu'il leur avait proposés, notamment la conception d'une nouvelle brochure publicitaire pour la fête foraine de Battersea. Ce parc d'attractions, qui avait beaucoup perdu de son prestige depuis son ouverture en 1951, proposait entre autres choses le Grand Plongeon et la Roue de la Mort. Il avait un peu changé depuis le Festival of Britain, mais il restait une destination très appréciée (et le resta jusqu'à ce que plusieurs enfants soient morts sur ses manèges). Il invitait surtout au au rêve sur les notions de vitesse et d'espace. C'était un lieu où une jeune artiste pouvait expérimenter sa créativité.
Impressionné par le travail de l'étudiante Calvert, Kinneir lui demanda en 1957 de l'aider sur un vaste projet au thème similaire : la signalisation du nouvel aéroport de Gatwick. L'expérience de Kinneir en la matière se limitait à la conception de pavillons pour le Festival of Britain et de stands d'exposition à Wembley. Il n'avait pas présenté sa candidature, la commande lui avait été passée après une conversation à un arrêt d'autobus avec l'un des architectes de Gatwick, David Allford. Pourtant, il ne devait pas être bien difficile de dessiner un panneau “Départs”.» pp. 142-143

«Même sous sa forme la plus primitive, à écran vert, à mémoire minuscule, à disquettes – disons un Amstrad PCW bas de gamme – l'ordinateur rendait rapidement tout le reste obsolète. Dès que vous saviez utiliser un clavier et appuyer sur la touche Imprimer, quel avenir s'offrait au stylo Platignum ou à la machine à écrire à boule ? Dès que vous aviez une calculatrice, à quoi bon vous embêter avec les tables de multiplication ? Dès que vous aviez le courrier électronique, pourquoi fallait-il un employé des Postes pour coller des bandelettes de papier sur un télégramme ? Et dès que vous aviez le fichier audio, adieu les pochettes imprimées. L'impression manuelle et Letraset étaient condamnés. Et la calligraphie est pratiquement morte, cet art qu'adore le prince Charles, et qu'on voit encore encadré sous verre sur les certificats de qualification des vérificateurs et des chiropracteurs.
Aujourd'hui, presque tout ce dont nous avons besoin en matière de caractères se trouve sous une diode LED ou un écran plasma. La pression du graphiste et de la plume, le plaisir fragile qu'on prend à promener un index sur la première page d'un livre bien imprimé, tout cela appartient au passé. Mais les polices – leur prépondérance et leur ingéniosité – n'ont pas connu un semblable déclin. Au contraire : c'est leur quantité quasiment inestimable  qui s'avère problématique.» p. 164

«Spiekermann est de ces gens pour qui ne pas pouvoir identifier un g entraînerait une sérieuse remise en question. “Mais je ne suis plus aussi obsédé qu'avant. C'est peut-être l'âge. Dans ma génération, j'étais le pire de tous. Mais maintenant, avec les jeunes, il y a tellement plus de fous de typo qu'avant.” Il raconte avoir été “infecté” à six ans. Il habitait près d'une imprimerie, en Basse Saxe, et “je voyais tous ces caractères métalliques, toute cette encre grasse, puis quelqu'un plaçait une feuille de papier impeccable par-dessus et ça donnait un beau texte clair qu'on pouvait lire, c'était magique, j'étais accro”. On lui donnait les bouts de papier massicotés, où il dessinait les trains et les camions que son père conduisait pour l'armée britannique. Puis à l'adolescence, “je suis tombé amoureux d'une fille, je lui écrivais et j'imprimais son adresse sur l'enveloppe. Les autres gamins jouaient au Lego, moi j'avais Futura et Gill”.
Sa carrière professionnelle a démarré à dix-sept ans, lorsqu'il partit pour Berlin pour éviter la conscription. Il se mit à travailler chez un imprimeur, chez qui il composait à la main. Il dessina ses premières polices vers 1970, alors qu'il était typographe à Londres, en s'inspirant des polices célèbres dont il collectionnait les caractères en bois et en métal. Il demanda conseil à ses héros, dont Matthew Carter, Adrian Frutiger et Günter Gerhard Lange. “Avec Matthew et Adrian, c'était presque comme une franc-maçonnerie, ils étaient une douzaine et ils étaient contents qu'il y ait des freluquets comme moi parce que la plupart des gens ne s'intéressaient pas à tout ça. De nos jours, c'est presque l'inverse. Tout le monde a envie de créer son lettrage.”» pp. 176-177

«Volkswagen, avec ses idéaux démocratiques, utilise encore Futura pour sa publicité, au point où il serait  dangereux de changer, comme de trafiquer les freins.» p. 186

«Archibald Binny avait appris à découper les lettres à Edimbourg, mais son associé James Ronaldson était pâtissier jusqu'au jour où il avait tout perdu dans un incendie. Dans leur partenariat, Ronaldson gérait les aspects commerciaux, tandis que Binny fit plus que quiconque pour établir une identité américaine imprimée.» p. 187

«Comme c'est aujourd'hui la règle, chaque alphabet contient au moins 600 glyphes et prend des mois à mettre au point.» p. 218

Bon, je m'arrête là, vous aurez je crois compris mon propos…
 ***
L'avis de Jacques Drillon sur BibliObs, celui de Camille Gévaudan sur Ecrans, et , «L'Essai et la Revue du jour», sur France Culture (7 min).

Sales caractères
Petite histoire de la typographie
Simon Garfield
Seuil

Pour différencier Arial et Helvetica.

Quelle perception aurions-nous eue de ces films si leurs génériques avaient été incrustés dans d'autres polices ?




vendredi 19 avril 2013

Demain chez nous ?



Pōkarekare Ana

Pōkarekare ana, ngā wai o Waiapu
Whiti atu koe hine, marino ana e
[The waves are breaking, against the shores of Waiapu,
My heart is aching, for your return my love.]

E hine e, hoki mai ra, ka mate ahau i te aroha e.
[Oh (my beloved) girl, come back to me, I could die of love for you.]

Tuhituhi taku reta, tuku atu taku rīni
Kia kite tō iwi, raruraru ana e.
[I have written you a letter, and enclosed with it my ring,
So your people could see it how much I'm troubled for you.]

E hine e, hoki mai ra, ka mate ahau i te aroha e.
[Oh (my beloved) girl, come back to me, I could die of love for you.]

Whatiwhati taku pene, kua pau aku pepa
Ko taku aroha, mau tonu ana e.
[My poor pen is broken, my paper is spent,
But my love for you endures, and remains forever more.]

E hine e, hoki mai ra, ka mate ahau i te aroha e.
[Oh (my beloved) girl, come back to me, I could die of love for you.]

E kore te aroha, e maroke i te rā
Mākūkū tonu i aku roimata e.
[The sun's hot sheen, won't scorch my love,
Being kept evergreen, by the falling of my tears.]

E hine e, hoki mai ra, ka mate ahau i te aroha e.
[Oh (my beloved) girl, come back to me, I could die of love for you.]

Merci à NZ, qui a reporté ces paroles chez Mme Plouf !
Cette chanson est un classique.
Waiapu est une rivière du côté de Gisborne, au nord-est de l'île du Nord
.
En maori, «wh» se prononce «f». 

***
C'est pour l'instant mal parti, ici on a plutôt droit à ça :


mardi 16 avril 2013

«Je me souviens de la première séparation avec Solal. Dix jours sans lui m'avaient parus interminables, à les compter avec des petits bâtonnets dans la paume de ma main. À son retour, j'avais tout de suite compris que mon fils avait changé de manière irréversible : il forçait son rire à être plus rauque et mettait les mains dans les poches de son jean pour rendre ses épaules carrées. Il avait laissé son enfance / ma fraîcheur dans le centre qui l'hébergeait avec sa classe, sans me demander l'autorisation. J'aurais beau engager des recherches, remuer ciel et terre, secouer matelas et couvertures, soulever les lattes des parquets et arpenter chaque chemin de terre qu'il avait pris, je ne les retrouverais jamais. Nos baisers auraient dorénavant une raideur inconnue, lui qui s'emboîtait parfaitement dans mon cou ne s'y attarderait plus, me laissant nostalgique / affamée. Solal, bon aîné, avait enclenché les comptes à rebours. Je bois désormais chaque câlin comme s'il était le dernier, consignant mentalement la douceur de leur peau, le goût de leur sueur, le salé de leurs larmes, le pulpeux de leur joue et la clarté dégringolante de leurs rires. Me préparant dignement à ce jour, après-demain : dès que le car emportant ma fille sera parti, à l'ultime agitation de ma main, je serai une vieille mère. » p. 78

Second Tour ou Les Bons Sentiments
Isabelle Monnin
Jean-Claude Lattès

lundi 15 avril 2013

Tout à l'heure ma douce prendra le car, pour un périple de quatre jours qui l'emmènera au Clos Lucé, au Futuroscope, aux châteaux de Chambord et d'Amboise et au zoo de Beauval. De quoi revenir avec une provision de jolis souvenirs.
Bien sûr, j'en ai trop fait : la valise est plus que pleine, mais de la sorte elle pourra se vêtir quel que soit le climat. La besace isotherme est bien garnie également, de façon à donner un air festif à la collation de ce matin puis au pique-nique qui suivra, et pouvoir ainsi partager avec les copines.


Elle va régulièrement en vacances chez ma mère mais c'est toujours l'un de nous qui l'y emmène. C'est la première fois qu'elle part sans nous, hors de la famille et pour un si long temps…

dimanche 14 avril 2013

Petites histoires de la grande époque

À quatre-vingt-six ans, Walter Lewino est le doyen des chroniqueurs du Tigre. Né en 1924, il s’est engagé à dix-sept ans dans les Forces françaises libres. Après la guerre, il a été tour à tour correcteur, journaliste, secrétaire de rédaction, romancier, inventeur de jeux... Le Tigre avait envie de l’entendre raconter quelques épisodes d’une carrière durant laquelle il a croisé nombre de protagonistes du journalisme d’après-guerre. Une évocation des bouleversements techniques de la presse, de l’essor des news magazines, de mai 68 et du situationnisme.
Un entretien avec Walter Lewino réalisé rue Greneta (Paris) le dimanche 18 avril 2010 par Raphaël Meltz.

 Vous avez travaillé dans une dizaine de journaux différents, à de nombreux postes. Comment qualifieriez-vous votre parcours ?
J’ai une formule, qui vaut ce que les formules valent. Je dis toujours : je suis trop mégalo pour être arriviste. C’est pour ça que je me suis bien débrouillé dans la presse. Dès le départ, il était évident que je ne cherchais pas le pouvoir. Ou alors je cherchais mon petit pouvoir : dans tous les journaux où j’ai travaillé, j’ai formé mon petit groupe, où personne n’est venu m’embêter. J’avais mon coin, avec les gens qui travaillaient pour moi. Je faisais ce que je voulais. Et personne ne m’embêtait, parce que je ne cherchais pas à avoir une autre place. À un moment, au Nouvel Obs, Jean Daniel m’avait dit : « Lewino, il faudrait que vous preniez la partie littéraire. » J’ai répondu : « Non, ça ne m’intéresse pas. »

Pour lire le récit de cette vie peu ordinaire, rendez-vous chez Le Tigre

vendredi 12 avril 2013

L'astragale

Il y a exactement trois ans, une dizaine de jours avant les vacances de printemps, la Perle est mal retombée en sautant à la corde durant une récréation. Elle est rentrée à la maison se plaignant de sa cheville droite. Arnica, bande Velpeau – qu'elle n'a finalement pas gardée, je ne me suis donc pas inquiétée outre mesure. Les deux ou trois jours suivants elle a continué bon an mal an,  ne s'est quasiment pas plainte, a fait de la trottinette, couru. Puis je me suis aperçue qu'elle ne posait pas son pied à plat, et son papa l'a emmenée aux urgences pédiatriques. La radio a indiqué une fracture de la maléole interne et ma douce s'est trouvée la jambe plâtrée. Trois semaines plus tard, son pied n'étant ni douloureux ni même sensible à l'examen, l'orthopédiste a conclu à une probable entorse.
Environ onze mois plus tard elle a recommencé à se plaindre de cette cheville qui peu de temps après a émis un «crac» alors qu'elle enjambait la baignoire pour se doucher. Elle en est sortie ne pouvant plus poser le pied à terre. J'ai attendu une ou deux heures pour voir comment cela évoluait avant de filer aux urgences. Nouvelle radio, qui n'a rien révélé, nouveau diagnostic de probable entorse, gouttière et retour à la maison. Sur la suggestion du Musicien j'ai demandé si son problème ne pouvait provenir d'une fracture de fatigue mais on m'a répondu que ça n'existait pas chez les enfants. À la maison le résultat d'une recherche «fracture de fatigue + enfants» m'affirme le contraire en plusieurs centaines de milliers de réponses parmi lesquelles de sites tout ce qu'il y a de sérieux, et particulièrement chez les enfants âgés de huit à douze ans.
Elle s'est plainte à plusieurs reprises de douleurs dans la semaine jusqu'à ce qu'un soir, se plaignant plus fortement, je lui défasse la gouttière et constate que sa jambe et son talon étaient très irrités. Nouvelle bande Velpeau et attelle (que l'on avait déjà, une autre histoire) mais encore deux jours et les plaintes ont repris : retour aux urgences et plâtre de marche. Elle avait bien demandé à l'interne de l'échancrer suffisamment au bout pour pouvoir bouger un peu les orteils mais il n'en a pas tenu compte (pas plus qu'il n'a réglé ses cannes anglaises ou prescrit une de ces espèces de surchaussures qui permettent de marcher avec un plâtre ; je ne m'en suis rendue compte qu'après et quand j'ai appelé pour demander comment faire et on m'a répondu de découper une vieille basket, parce qu'il est évident que tout le monde a ça chez soi !). Comme cela la gênait et qu'en outre elle continuait à se plaindre, nous y sommes retournées le lendemain. Cette fois-ci, l'interne de garde le lui a échancré et expliqué que la douleur était due à la position en équerre que l'on avait fait prendre au pied, afin d'éviter un équin. Comme la chérie continuait de se plaindre nous sommes retournées une fois de plus aux urgences où je crois me souvenir que rien n'a été fait. J'ai demandé pourquoi on m'avait dit que les fractures de fatigue n'existaient pas chez les enfants quand l'université de Rennes, pour ne citer qu'elle, y consacrait des articles et l'on m'a répondu que la médecine n'étant pas une science exacte, les réponses dépendaient des écoles (et contente-toi de ça).
Nous sommes de nouveau rentrées à la maison. Peu après – je ne saurais dire combien de temps : un jour ? deux ? – voyant que ses orteils prenaient une teinte violacée nous avons repris la direction des urgences. Cette fois-ci l'interne a découpé le plâtre d'une fillette à bout de fatigue, de douleur et terrorisée à la vue de la scie : il avait été trop serré et le cou-de-pied droit était à vif. L'interne l'a donc refait et a ajouté un molleton à cet endroit pour qu'elle ne souffre plus. Heureusement, si l'on peut dire, les semaines précédentes ont été prises en compte et elle n'a eu à le garder «que» trois semaines supplémentaires. Je passe sous silence les trajets entre la maison et l'école, située à un bon kilomètre de chez nous, les récrés passées sous le préau ou dans la salle de classe située au troisième étage d'un bâtiment datant des années vingt ou trente (plafonds très  hauts et grandes volées de marches).
Elle est passée au travers l'an dernier et j'ai cru le problème résolu jusqu'à ce que, la semaine dernière, elle se plaigne de cette même cheville et ne puisse rapidement plus poser le pied à terre. J'ai commencé par prendre rendez-vous à l'hôpital, en croisant les doigts pour qu'ils ne lui replâtrent pas la jambe. C'est alors que la maman de l'amie de toujours m'a conseillé un ostéopathe. Peut-être parce que j'avais eu une expérience peu convaincante avec un chiropracteur je n'avais jamais depuis fait appel à ce type de spécialiste. J'ai pu obtenir un rendez-vous dès lundi dernier, avant celui de l'hôpital. En moins d'une heure, il a identifié la cause des douleurs et, tout en douceur, en est venu à bout. L'astragale de ma Petite Hirondelle avait été déplacée et c'était elle qui par périodes la faisait souffrir. Elle avait des ailes aux pieds à peine franchi le porche de l'immeuble et se mettait à courir.
Dire que nous avons été soulagées est bien sûr en-deçà de la réalité, d'autant plus qu'elle part lundi matin en voyage scolaire et qu'un plâtre aurait considérablement compliqué les choses…

mardi 9 avril 2013

Eleanor Rigby, Douglas Coupland

Beaucoup aimé le ton pince-sans-rire de ce livre-ci, d'où pas mal de passages plaisants, parce qu'en plus je n'ai pas su choisir (tant pis pour vous:-)
 ***
«J'avais l'impression d'être prisonnière de ma conscience. Mon oreiller était de la taille d'une tablette de chewing-gum, le matelas aussi épais qu'un biscuit apéritif. Je me suis roulée en boule et j'ai pleuré en silence, faisant cette chose que seuls les jeunes peuvent faire, c'est-à-dire m'apitoyer sur mon sort. Passé trente ans, on perd cette capacité ; au lieu de s'apitoyer sur son sort, on devient amer.» p. 72

«Pourquoi avais-je autant le mal du pays ? Aucune idée. Avec le recul, je me dis que visiter un pays étranger revient simplement à entrer chez quelqu'un pour s'imprégner de l'atmosphère des lieux. En principe, j'aurais dû m'éclater en Italie.
Ai-je vu beaucoup de statues dénudées au cours de cette deuxième journée ? Mon Dieu, oui. Partout, c'était difficile de ne pas les remarquer. Et c'était encore plus difficile d'essayer de ne pas être vu en train de les regarder. Les filles gloussaient lorsqu'elles se retrouvaient face à des organes génitaux en pierre ; les garçons devenaient muets chaque fois qu'ils apercevaient des seins. Quant à moi, je pense qu'il n'y a rien d'érotique dans les statues de femmes, le marbre ne sied guère à notre sexe. Nous ne resplendissons qu'en peinture, alors que, sculptée, la gent masculine parvient à camper la frontière ténue entre art et pornographie. Quoi qu'il en soit, je me suis vite lassée de la nudité ; le mal du pays l'emportait sur tout le reste. Contrairement à la solitude, il existe un remède simple pour le vaincre : rentrer chez soi. Si seulement le problème de la solitude pouvait être réglé aussi facilement. Le simple fait de côtoyer d'autres êtres humains ne m'est d'aucun secours – être seul au milieu d'une foule est la plus pathétique des variantes. D'un autre côté, dans une foule, vous avez au moins une chance, certes mince, de rencontrer ce double cosmique dont la présence apaisera votre esprit esseulé et fiévreux. Enfermé dans votre appartement, vos chances sont réduites à néant.
Je fais ce truc que les gens seuls font, à savoir une hiérarchisation minutieuse de la solitude. Qui est le plus seul… le célibataire esseulé, ou celui qui se sent délaissé dans une relation moribonde ? Est-ce complètement pathétique d'être un célibataire esseulé jaloux de quelqu'un de délaissé dans une relation moribonde ? Encore une fois, rappelez-vous, tout cela n'est que théorique pour moi. Bon d'accord, autre question : est-il possible de se sentir seul dans une relation moribonde quand votre partenaire ne partage absolument pas ce sentiment ? Ou le corollaire : est-il possible d'être amoureux de deux personnes en même temps ?» pp. 84-85

«Si seulement les avancées scientifiques permettaient d'inventer une drogue qui étire notre perception du temps, comme lorsqu'on était enfant. Ça serait génial. Un an semblerait durer un an, et non plus dix minutes. L'âge adulte paraîtrait long et rempli, au lieu de ressembler à un tour de manège incontrôlable. Qui voudrait d'une telle drogue ? Les vieux, j'imagine – les gens pour qui le temps donne l'impression d'avoir appuyé sur l'accélérateur.
Et je pense qu'ils devraient aussi inventer une drogue capable de provoquer l'effet inverse. Ici encore, il n'y aurait pas de sensation immédiate, mais au bout d'un an d'utilisation, on se dirait, Waouh ! Ça fait ça déjà un an ? C'est comme si c'était hier. Qui prendrait cette drogue ? Moi, quand je me sens seule. Et les prisonniers condamnés à perpétuité.
Une troisième idée me vient : que feriez-vous si vous ne deviez choisir qu'une seule de ces drogues ? Et que l'absorption de cette drogue neutraliserait [sic] instantanément et irrémédiablement les effets de l'autre ? Je suppose que la plupart d'entre nous, y compris moi, prendraient celle qui donne l'impression d'allonger la vie. Ce qui signifie qu'une vie solitaire vaut toujours mieux que pas de vie du tout.
J'imagine que l'alcool est le truc qui se rapproche le plus d'une drogue qui accélère le temps. La cocaïne, peut-être ? Je ne saurais dire. C'est peut-être pour cela que je me méfie autant de l'alcool : ça accélère le temps sur le court terme, et sur le long terme ça oblitère la mémoire – ce qui est bien sûr une manière d'abolir le temps.» pp. 92-93

«D'après moi, les grosses entreprises sont comme des fanfares. Tu connais le grand secret des fanfares, n'est-ce pas ?
— Non. C'est quoi ?
— Même si la moitié de l'orchestre joue n'importe quelles notes, ça reste encore plus ou moins harmonieux. Leur structure même dissimule les erreurs. C'est comme le piano : tant que tu n'appuies que sur les touches noires, et que tu ne t'occupes pas des blanches, ça sonnera pas trop mal, mais d'un autre côté ça ne sonnera jamais comme de la vraie musique non plus.» p. 129

«J'imagine qu'il est important à ce stade du récit de souligner une fois de plus que je suis bien en chair, voire grosse. Je pense que chacun de nous a à l'esprit une palette de traits génériques qu'il utilise quand il lit une histoire. Les livres dans lesquels l'accent est trop mis sur la description du personnage principal m'ont toujours laissée perplexe – “Elle avait une chevelure couleur lait et amande, et une démarche claudicante”, ou bien, “Son corps était noueux et raide. Ses cheveux roux formaient un halo.” Vous voyez où je veux en venir. Au bout du compte, ce que j'appelle nos “protagonistes universels” font l'affaire. Peu importe l'histoire, le lieu et l'époque, nos héros intérieurs débarquent aussi insipides et prévisibles que des présentateurs de journaux télé de 18 heures. Je soupçonne la protagoniste universelle de ressembler à une ménagère de moins de cinquante ans vêtue d'une robe de lamé, tandis que son pendant masculin pourrait bien être un entrepreneur de toiture habillé pour une réception. Evidemment, je ne suis ni l'un ni l'autre. Il me semble important de rétablir la vérité ici, au moins d'un point de vue technique.» p. 155

«Les petites adolescentes avec leurs jeans moulants et leurs lèvres étincelantes de gloss me jettent un regard, voient en moi un signal de danger cosmique, et se détournent définitivement. Les hommes, quel que soit leur âge, ne me remarquent pas, point final. Pour eux, je ne suis rien de plus qu'une plante en pot. Les femmes de plus de, disons, trente ans, notent ma présence et me traitent avec gentillesse, mais dès qu'elles croient que je ne fais plus attention, leur visage trahit des pensées cafardeuses – je suis ce qui leur arrivera si elles ne mènent pas bien leur barque. Quant aux serveurs, je les soupçonne de toujours s'attendre à ce que je fasse des histoires, comme demander un autre hamburger parce que la viande est trop cuite ou exprimer mon dissentiment au sujet du vin blanc, trop acide. Pourquoi ? Peut-être pensent-ils que je suis tellement en mal d'interaction sociale qu'une prise de bec vaut mieux que rien. Je m'imagine parfois dépenser cent mille dollars en chirurgie esthétique […] mais je ne franchirai jamais le pas. Notamment pour la simple raison que le patient doit être raccompagné chez lui par un membre de sa famille ; les taxis ne sont pas autorisés – ni même les limousines. La seule idée d'être fustigée par Mère dans la voiture alors que je suis emmaillotée de bandelettes stériles, telle une momie, met un terme à tout fantasme – c'était déjà assez pénible avec les dents de sagesse. […] … je ne veux tout bonnement rien me faire refaire. Un point c'est tout. pp. 155-157

«Observez les yeux d'une femme célibataire à vingt, trente et quarante ans. Je pense notamment à Jane. À vingt ans, elle meurt d'envie d'être pervertie – elle est même prise de vertige à l'idée de renfermer autant d'énergie qui n'attend que d'être consumée : Utilise-moi ! Largue-moi ! Dévergonde-moi ! Poppers ! Fouets ! Choisis-moi ! Mais à trente ans, ces même yeux adresseront un message différent : OK, je sais ce que c'est de se faire consumer, alors n'essaie même pas, pigé ? Je vois la marque de ton alliance et le *69 m'apprend que tu vis dans une banlieue résidentielle pleine d'arbres, d'écoles primaires et de terrains de football. Manifestement, il subsiste un peu d'énergie – juste un peu pour vous ramener à la civilisation, si jamais les choses devaient affreusement mal tourner.

Mais regardez ces yeux à quarante ans. Il y a un puissant écho des vingt ans : Utilise-moi ! Largue-moi ! Dévergonde-moi ! Choisis-moi ! Mais en même temps, la réserve d'énergie est presque épuisée, et vous ne voulez plus être larguée et exposée au cuir et aux lavements, et n'importe quel type que vous rencontrez va jeter un œil sur votre CV, remarquer l'absence de longues relations amoureuses ou de mariage, et passer son chemin discrètement. Peut-être que c'est lui qui est esquinté, mais quelle différence ça fait ? Soixante secondes après vous avoir raccompagnée pour la dernière fois, il fredonne la chanson de Supertramp qui passe à la radio. Vous n'êtes même pas un souvenir, vous êtes comme un ralentisseur. En demandiez-vous beaucoup ? Ne chamboule pas mon petit train-train, et s'il te plaît prends autant de plaisir que moi à regarder les rediffusions de New York District.» pp. 158-159

«Je n'avais jamais serré qui que ce soit dans mes bras auparavant. Les gens ont un poids. Ils dégagent de la chaleur. On peut sentir leur cœur et leurs poumons battre à l'intérieur. Je m'attendais à quoi – une marionnette ?» pp. 186-187

«En tout cas, avant d'aller au lit, je me suis servi un verre de pinot gris, j'ai regardé ma météorite et l'ai emportée dans ma chambre, où je l'ai installée à côté de mon réveil. Cependant, juste avant de m'endormir, je m'en suis emparée pour la déposer sous mon oreiller, comme une pièce après le passage de la petite souris. Je me suis rappelée combien c'était étrange, enfant, de recevoir une pièce en échange d'une dent. Ce type – j'ai toujours pensé que la petite souris était un être humain de sexe masculin – va dans les chambres pour récupérer des dents mortes ? Pour quoi faire ? Des expériences médicales ? Personne ne dit jamais ce qu'il fait de son butin. J'imagine que quand on perd ses dents, on est encore assez jeune pour faire semblant d'adhérer aux idées débiles de ses parents. Dans ma tête, la petite souris et le type coupé en deux que j'avais découvert près du chemin de fer, lorsque j'avais douze ans, étaient une seule et même personne. Si c'était bien lui, je me disais qu'il devait être soulagé d'être mort. C'est vrai, quoi, c'est un drôle de boulot.» p. 192
«À vrai dire, Mère tirait peut-être une certaine fierté de mon apparente virginité, mais elle essayait également toujours de me parer de vêtements de styliste hors de prix et de maquillage – tout ce qui pouvait gonfler mon sex-appeal. Il faut donner envie aux garçons de te regarder de plus près. Si j'avais montré ne serait-ce qu'une once d'intérêt pour une combinaison en cuir de maîtresse SM ou des menottes, j'aurais pu les obtenir – en fait n'importe quoi qui se rapportait au sexe. Et si elle avait dû choisir entre une Liz vierge et une Liz salope, quelque chose me dit qu'elle aurait opté pour la seconde proposition. Heureusement, Leslie était une candidate bien plus enthousiaste à la campagne sexuelle de Mère.» p. 210
«Je l'avoue, dès que le choc de l'achat de ce billet d'avion s'est estompé, j'ai traversé la ville pour aller dépenser un paquet de fric chez un des visagistes les plus chers de Vancouver. Sans grand résultat. Quand je suis arrivée, j'ai bien vu qu'ils se sont tous précipités dans l'arrière-boutique pour tirer à la courte paille qui devrait s'occuper de moi. Je dois reconnaître qu'ils ont essayé, mais je suis à l'épreuve de la beauté. Mes efforts pour renouveler ma garde-robe avec Jeremy il y a quelques années n'ont jamais donné grand-chose ; ça ne sert à rien, un point c'est tout. Je suis gentille, propre, bien chaussée, bien habillée, mais transparente. Je ne suis même pas digne de figurer dans une foule au cinéma. Le réalisateur hurlerait : “Arrêtez tout ! Virez-moi cette femme de là ! Elle est trop transparente, même pour une scène de foule !» p. 217
«Je ne souligne pas assez combien Jeremy était inquiet de voir ses visions le quitter. Lorsqu'il descendait de son nuage pour atterrir sur le canapé, entre deux accès de fièvre, nous chantions ensemble des hymnes rock à l'envers – ou nous nous contentions de regarder l'indigent spectacle offert par la télévision en journée.
Avec Jeremy, le temps était un sujet sensible. La vie est limitée ; la sienne était seulement plus limitée que la plupart. Faute d'autre chose, on s'habitue à être vivant.
Je pense parfois qu'avoir des visions est une façon de s'inscrire dans ce futur que l'on soupçonne de ne jamais connaître. Les gens qui entrevoient la fin du monde sont simplement des gens qui ne peuvent imaginer une vie après leur mort. Quitte à partir, autant emporter le monde avec soi.» pp. 220-221
«J'avais la sensation d'être moi, sans pour autant l'être. J'imagine que c'est pour ça qu'on aime voyager ; c'est pour ça que les intégristes visent les aéroports, que l'on trouve des drapeaux de tous les pays à vendre dans les gares. Les voyages vous dissolvent. Ils vous obligent à vous reconstruire, vous forcent à vous souvenir d'où vous venez.» p. 246
«“C'est agréable de visiter la ville où le subconscient a été inventé.”
Il m'a regardée d'un air sombre. “Mademoiselle Dunn, le subconscient n'a pas été inventé. Il a été découvert.
— Oh, pardon, je n'y avais jamais vraiment réfléchi. J'ai toujours cru qu'on avait notre personnalité de tous les jours et que parallèlement à ça on renfermait ce foutoir qu'on appelle subconscient.
— Qu'est-ce qui vous fait croire que c'est un foutoir.
— Eh bien, si notre subconscient était attrayant, on ne serait pas obligé de l'enfouir au fin fond de nous-même. Ça serait simplement un autre trait du visage, comme le nez.” Je voyais bien que Herr Bayer se disait que je plaisantais peut-être, mais j'étais on ne peut plus sérieuse. “Les gens parlent du subconscient comme si c'était le pôle Sud et qu'il fallût tout un tas de moyens technologiques et une sacrée détermination pour finalement l'atteindre. Comment savoir s'il n'y a pas cinq ou six couches de personnalités cachées ? Ou soixante-deux ?
— Je dirais quatre.
— Lesquelles, selon vous ?
— Mademoiselle Dunn, vous connaissez déjà la réponse : le moi social, le moi intime et le moi secret.
— Ça n'en fait que trois.
— Le quatrième, c'est le moi sombre : celui qui tient la barre ; celui qui a le plan ; celui qui est avide ou confiant ou rempli de haine. Il est tellement confiant qu'il défie les mots.”» pp. 247-248
«[…] j'ai un problème avec les viandes dont le nom désigne ce qu'elles étaient avant de finir dans une assiette.
— Comme par exemple…
— Comme le foie. Ou les rognons.
— Poursuivez.
— “Salut… avant qu'on m'ait fait revenir aux petits oignons, j'ai passé ma vie à filtrer les impuretés dans le système sanguin d'une vache.”» p. 249
«Mon histoire a occupé presque tout le dîner, et j'étais fière de constater qu'elle n'avait absolument rien d'ennuyeux. Je me sentais cosmopolite. Je me suis dit que c'était ce que Leslie devait éprouver au quotidien, et comment les gens beaux devaient traverser l'existence, chacune de leurs paroles semblable à une friandise offerte aux affamés.» p. 250
«Il m'est venu à l'esprit que, à l'instar de Scarlet dans le 747, et de Jeremy sur le canapé de mon appartement, j'avais trouvé un endroit où je me sentais suffisamment en sécurité pour me désagréger – en face de ce fonctionnaire européen mal rasé qui ressemblait au compagnon de cellule de Václav Havel. Puis, j'ai éclaté en sanglots, sans aucune retenue, ce que je m'étais efforcée d'éviter tout au long de ma vie. Je ne peux rien imaginer de plus répugnant que moi, en pleurs, en train de faire une scène en public, réclamant de l'attention, même si ça n'a été à aucun moment le but de mes larmes.» p. 254

«Que voit-on quand on ferme les yeux ? Rien et tout. Je me suis souvent demandé quel genre de rêves font les aveugles de naissance. Leurs rêves sont-ils constitués de sons et de températures ? Est-ce que quelqu'un s'est déjà penché sur la question ?» p. 267
«Pas besoin d'être un génie pour déduire qu'en réalité, je craignais de me retrouver de nouveau seule. J'avais complètement oublié la solitude jusqu'à ce qu'ils emportent le corps de Jeremy. J'avais oublié la chose que je déteste le plus au monde, ce goût âcre dans la gorge lorsque je prends conscience que l'heure du dîner approche et que je n'ai rien de prévu pour la soirée. J'avais également oublié l'effet que ça faisait de me réveiller le samedi matin en me rendant compte qu'il me restait deux jours à tuer avant la reprise du travail – le petit rai de lumière froid entre le rideau et l'encadrement de la fenêtre qui me disait que je n'avais pas de vie. Peu importait la peine que je me donnais pour la surmonter – et même si parfois je semblais être sur la bonne voie –, la solitude restait l'humeur dominante qui teintait et réduisait tout.
Et je vieillissais. Je pense qu'il existe dans la vie de chaque être humain un point où l'on prend conscience que l'on a atteint le maximum de ce que l'on pourra jamais avoir, que ce soit en matière d'amour, d'argent ou de pouvoir. On doit faire la paix avec qui l'on est, et ce que l'on est devenu. J'avais cru qu'en choisissant la paix au lieu de la prévisibilité, j'avais opté pour une simple décision comptable qui me réconcilierait aisément avec mon existence. C'était stupide. Ce qu'il m'a fallu c'est de goûter à la vie de l'autre côté du miroir, avec Jeremy, où j'avais quelqu'un à qui tenir et qui tenait à moi.» pp. 284-285
«C'est plutôt sympa de ne pas savoir avec certitude ce qui nous arrive avant notre naissance ou après notre mort – ou d'avoir des doutes sur ce qui nous arrivera pendant ce laps de temps fébrile et flou qui survient entre le moment où nous décidons de changer de vie et le moment où notre vie change vraiment.
Klaus vient de tirer sur ma manche pour me montrer des étoiles au-dessus de l'Islande, visibles en plein jour. L'émerveillement ne cessera donc jamais ? Je regarde ces étoile et les décroche du ciel pour les répandre sur vous, comme des diamants, comme des graines.
Vous êtes tout, et tout est en vous.» pp. 298-299
***
L'histoire de Liz Dunn, seule et solitaire, presque transparente aux yeux de beaucoup, qui du jour au lendemain deviendra centre d'intérêt avant d'amorcer un nouveau départ. J'aime bien le Diable vauvert, son nom, sa démarche d'éditeur, sa résidence d'auteurs (un peu moins son attirance pour la tauromachie)… Juste, du moins dans l'édition que j'ai eue entre les mains,  on trouve quelques tournures étranges (voir la citation extraite de la page 93) et il manque des mots deci-delà dans les phrases – j'ose espérer que cela a été rectifié lors des impressions ultérieures ou avant la reprise en poche. Cela n'altère heureusement pas l'impression générale que laisse ce livre.

Le mot de 10/18 (que je préfère à celui du Diable)
 Jeune femme, trente-six ans, grosse et terriblement seule, n'attend plus rien de la vie. C'est ainsi que se voit Liz Dunn. Grosse, Liz l'a toujours été. Seule, plus encore. Hormis les visites régulières de sa famille qui la traite en cas désespéré, elle ne fréquente personne. De petit ami, encore moins. Ajoutez à cela une opération des dents de sagesse et une semaine de convalescence à regarder des films d'amour, et le portrait est complet. Mais alors que Liz s'apprête à explorer davantage le gouffre de sa solitude, un coup de fil vient bouleverser son existence… D'une lucidité foudroyante et d'un humour féroce, Douglas Coupland tente de répondre aux questions que soulève la chanson des Beatles : d'où viennent les gens seuls ? Où est leur place dans le monde ?

Eleanor Rigby
Douglas Coupland
Traduit de l'anglais canadien par
 Christophe Grosdidier
Au diable vauvert
ou 10/18





dimanche 7 avril 2013

Après-midi ludique et festive



Au fond, le gâteau à l'orange de la Demoiselle, puis un fondant au chocolat de paresseuse (= une préparation à laquelle il suffit d'ajouter des œufs et de la matière grasse) et des pancakes, accompagnés de sirop d'érable, de confitures de tomates vertes maison et de mûres, ainsi que des chocolats. À six autour de ces douceurs ça n'a pas duré très longtemps…